DESSINS, CÉRAMIQUES ET CYANOTYPES

« La vie, la mort, la vie, et ainsi de suite. »

Pavots et ombellifères ont passé fleur depuis longtemps. Leurs silhouettes graciles et épurées, majestueuses encore, contiennent toutes les promesses de l'avenir. Le dessin trouve son écho dans l'objet en céramique qui lui est associé. Il en est l'essence, la synthèse : la graine. Son motif évoque la forme ou la structure de la plante, à la manière d'une métonymie. Inventant cette « juste graine », non sans humour, l'artiste se fait démiurge de l'infiniment petit.

Comme un clin d'oeil aux premiers ouvrages de botanique illustrés dans l'antiquité, dont les motifs, chaque fois plus stylisés au fil des copies de manuscrits, gagnaient en liberté vis à vis de leurs modèles d'origine, Bettina Pell déploie une réflexion formelle et poétique, rigoureuse et espiègle, autour du végétal.

La splendeur n'est pas tant dans la floraison, souvent perçue comme le stade d'épanouissement de la fleur, mais au-delà. Passé la phase démonstrative, vient le relâchement, puis ce petit miracle : la graine, réserve d'espérances. La graine, de laquelle tout peut advenir, se fait amulette, porte-bonheur. La science se pare de poésie.

A la suite d'Anna Atkins, botaniste britannique (1799-1871) qui fut la première à utiliser le cyanotype pour illustrer ses herbiers (1843), des artistes ont proposé des compositions associant une empreinte de plante à d'autres motifs. Ainsi, L'Herbier surréaliste de Pierre Jahan (1945-1947), est constitué de photogrammes de plantes sur tirages argentiques noir et blanc aux motifs divers, par surimpression. La démarche de Bettina Pell se veut plus rigoureuse : elle n'assemble pas librement des formes à des fins décoratives.

Dans une perspective oulipienne, elle définit des règles strictes, qui relèvent d'une fiction scientifique et auxquelles elle se tient. Ainsi, dans son herbier personnel, les graines en céramique ne peuvent être associées qu'à la plante en écho desquelles elles ont été conçues. On peut ainsi songer à Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), qui en avertissement de son ouvrage Éléments de botanique ou méthode pour connaître les plantes (1694), précise : « la méthode suivie est fondée sur la structure des fleurs et des fruits. On ne saurait s'en écarter sans se jeter dans d'étranges embarras… »

Céramiques ou cyanonypes viennent enrichir une composition dessinée, parfois retravaillée avec des outils numériques, et respectent toujours le choix de l'espèce en présence. Ici, la composition associe photogramme et dessin en un enchevêtrement de formes bruissantes, qui tient de l'hybridation. Là, le dessin s'efface devant une composition de « graines », accompagnée de quelques notes manuscrites, dans une approche plus conceptuelle. Plus loin, la « séminothèque de référence », collection de graines fictives en céramique, n'est pas sans rappeler les fonds du Museum national d'histoire naturelle composés de graines, bien réelles, cette fois, collectées par les botanistes voyageurs tout au long du XIXe siècle.

Quant à Bettina Pell, elle n'herborise pas à la légère. Sa démarche précise ne laisse rien au hasard des promenades. Et pour obtenir les formes pressenties, nombres d'espèces ont été cultivées à dessein, dans son jardin des bords de Sarthe, là même où ses cyanotypes ont été façonnés par la caresse du soleil.

Anne Yanover, Historienne de l’art 

Directrice du musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis

Novembre 2019